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Warcraft III, jeu soigné au goût de déjà-vu
vendredi 19 juillet 2002
Le nouvel opus de la célèbre série de jeux de stratégie, attendu avec ferveur, puise à plusieurs sources sans pour autant oser se renouveler en profondeur. Mais la finition exemplaire du jeu, combinée à une grande simplicité d’accès, lui assure de devenir la prochaine référence incontournable du genre.
Après les succès colossaux de Warcraft II (1995) et surtout Starcraft (1998), il eut été étonnant que Blizzard Entertainment n’exploite pas davantage le filon des jeux dits " de stratégie temps réel ". Toutefois, désireux de ne pas s’enfermer dans un style, le studio de développement avait souhaité marier la série avec un autre genre dans lequel il possède un savoir-faire indéniable : le jeu de rôles-action (Diablo I et II). Au lieu de diriger des troupes composées de centaines d’unités, le joueur se retrouvait doté de dons uniques, à la tête d’un groupe de taille réduite . Exit donc les sempiternelles ressources à collecter, les bases à établir et la recherche frénétique de la supériorité numérique. Malheureusement, les impérieuses lois du marketing ont tué dans l’œuf cette intéressante initiative, et seuls quelques maigres héritages rappellent, au final, les intentions de départ.
Une bonne louche de Warcraft II et de Starcraft, une pincée de Diablo
Dans sa version définitive, le jeu est un mélange de Warcraft II et de Starcraft. Du premier, il garde l’univers : on retrouve le monde d’Azeroth, avec ses humains et ses orcs. Mais deux autres races font leur apparition : les morts-vivants et les elfes de la nuit. Héritage de Starcraft, la campagne solo se divise ainsi en quatre actes où l’on incarne successivement ces différentes forces, qui luttent tantôt entre elles, tantôt ensemble contre un ennemi commun. Sans être passionnante, l’histoire, narrée par de superbes vidéos et de plus modestes " interludes ", est bien plus intéressante que dans la plupart des titres similaires, car parfaitement intégrée au jeu.
Mais l’influence de Warcraft II et Starcraft s’étend bien au-delà du seul scénario : le petit dernier reprend en effet quasiment tels quels de nombreux éléments de ses ancêtres. Les ressources disponibles (or, bois, nourriture) n’ont pas varié d’un poil. Quant aux bâtiments et unités, ils sont tirés soit de Warcraft II soit de Starcraft, et sont globalement très similaires chez les quatre races. Les humains et les orcs sont ainsi quasiment identiques à ceux de Warcraft II, les morts-vivants et les elfes de la nuit s’avérant un savant mélange des zergs et des protoss de Starcraft.
Ce manque d’originalité est partiellement compensé par l’existence des héros. Ceux-ci, déjà présents dans Warcraft II, voient leur importance croître considérablement. Outre une force largement supérieure aux autres unités, ils disposent chacun de compétences propres (dédoublement, vision lointaine...) se renforçant avec l’expérience et les objets trouvés lors des combats. Dans la mesure où l’on ne peut entretenir simultanément qu’une trentaine d’unités (du fait des taxes prélevées sur l’or amassé et de la limite des réserves de nourriture, deux nouveautés de Warcraft III), la bonne utilisation d’une de ces capacités peut être décisive. Les missions où l’on ne dirige qu’un héros escorté d’une poignée de soldats sont très plaisantes et laissent imaginer ce que le jeu aurait pu être. Mais la plupart du temps, la constitution d’une armée puissante reste l’objectif prioritaire.
Un jeu de grande qualité, mais très limitatif
Décevant sur le plan de l’originalité, Warcraft III ne faillit pas, en revanche, à la tradition de qualité technique et de soin du détail qui a fait la réputation de Blizzard. Le passage à la troisième dimension ne se traduit pas, comme souvent, par un graphisme moins détaillé. Les deux derniers actes sont même magnifiques : canyons écrasés par le soleil et forêts luxuriantes sont au rendez-vous. Le perfectionnisme de Blizzard est bien présent, comme en témoignent l’interface dont l’aspect diffère pour chaque race, ou encore les empreintes laissées sur le terrain par le déplacement des unités. Le parti pris " cartoon " pour le visage des unités et la nette influence de l’animation japonaise, un peu déroutantes au début, collent finalement bien au reste du jeu. La musique, qui reprend plusieurs thèmes de Warcraft II en plus orchestral, est agréable sans être exceptionnelle. Et, pour une fois, la traduction française du jeu est de très bon niveau, y compris les voix.
Pourtant, malgré ce professionnalisme évident, Warcraft III n’est pas exempt de défauts. En premier lieu, la simplicité d’accès du jeu va de pair avec un manque certain de liberté, qui pourra rebuter plus d’un joueur : dans la campagne solo, on ne peut en aucune façon influer sur le déroulement de l’histoire ou choisir les héros dont on dispose ; la caméra est quasiment fixe bien que le jeu soit en trois dimensions (les possibilités d’inclinaison et de rotation sont tellement limitées que la vue par défaut reste de loin préférable). Par ailleurs, le jeu ne conviendra certainement pas aux amateurs de réalisme ou de batailles à grande échelle : le relief n’est pas pris en compte pour les dégâts ou la ligne de vision, les troupes ne sont pas conservées d’une mission sur l’autre... Warcraft III est avant tout tactique et non pas stratégique. On regrette également la disparition de l’aspect maritime, présent dans Warcraft II.
Au final, malgré des faiblesses réelles, Warcraft III peut d’ores et déjà compter sur un succès planétaire. Son caractère multijoueur très bien équilibré et rôdé lui assure de prendre la relève de Starcraft dans les compétitions de jeux vidéo. Perfection formelle, manque d’audace créatrice, poids écrasant du marketing : le dernier-né de chez Blizzard confirme que l’industrie du jeu vidéo se rapproche toujours plus d’Hollywood, pour le meilleur comme pour le pire.
Voir en ligne : Article du Monde Interactif