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La stratégie "Xbox Live" de Microsoft

vendredi 16 mai 2003

Quelle stratégie se cache derrière le service de jeu en ligne Xbox Live ? Son aspect ludique est la partie émergée de l’iceberg. Car Microsoft espère surtout réussir dans l’internet, via la TV, là où MSN a échoué via les PC. Une enquête en trois volets.

Ouvert en France le 14 mars dernier, Xbox Live se présente sous la forme d’un « kit de connexion » pour relier sa console Xbox à l’internet, et affronter d’autres joueurs en réseau. Le tout pour 60 euros la première année, puis un abonnement de 6 dollars mensuel (prix européen pas encore connu).

Pour utiliser le service Xbox Live, il est nécessaire de disposer d’une connexion internet à haut débit (câble ou ADSL). Une seule grosse contre-indication : impossible avec AOL, le numéro un mondial - et grand concurrent de Microsoft devant l’éternel, puisque MSN, le service internet de la maison de Bill Gates, est le second fournisseur d’accès aux États-Unis (en Europe ce n’est qu’un simple portail).

Pour l’instant, seul Nintendo a lancé discrètement, le 7 mars dernier, un modem spécial pour sa console Gamecube afin de jouer en ligne, avec un seul jeu proposé. Sony prépare également un service de jeu sur le net pour sa Playstation2, programmé pour l’été.

La télé, un poste à exploiter à part entière comme le PC

Quant au positionnement de Xbox Live, les concurrents ont déjà leur petite idée : « L’objectif de Microsoft », explique Stéphane Bole, directeur général de Nintendo France, « est désormais de conquérir le salon [du consommateur] ». « Et Xbox Live fait partie de cette stratégie. Nous ne sommes quant à nous intéressés que par le jeu, notre système ne vise rien de plus », poursuit-il.

« Il est vrai qu’amener internet dans le salon a pour nous une grande importance », concède de son côté David Dufour, le responsable du marketing Xbox de Microsoft France. « Un des éléments de notre stratégie est de toucher le grand public, au-delà du PC, ce qui ne signifie pas la fin de ce dernier », poursuit le responsable, précisant que la télévision « est désormais un poste à part en entière qu’il faut exploiter ». Témoin aussi : les nouvelles fonctions « musicales » de la console Xbox, dévoilées au salon E3 de Los Angeles, du 13 au 16 mai.

Dans cette perspective, l’éditeur compte proposer de nouveaux services pour en développer les usages. À l’occasion du salon E3, de nouveaux services Xbox Live ont été dévoilés, notamment le Xbox Live Alert, qui permettra de fixer des rendez-vous entre joueurs pour des parties en réseau sur son PDA, son téléphone portable ou sur l’outil de messagerie instantanée MSN Messenger. Un autre nouveau service recensera les statistiques de tous les joueurs sur un seul palmarès accessible via sa console. Par ailleurs, un service de "chat" vocal, proposera aux joueurs de discuter en dehors des parties, grâce à leur écouteur et microphone branchés sur la console.

En France, Xbox Live ne permet, pour le moment, que de jouer et de télécharger des "add-on" (nouveaux personnages, armes, plans, etc..). D’ici à la fin de l’année, Microsoft a prévu de lancer certaines des nouveautés présentées à l’E3 ; l’éditeur promet également d’autres services complémentaires : des forums de discussions thématiques au téléchargement de démos ou de vidéos. Il s’agit encore de « services associés » aux jeux, mais à terme la console Xbox pourra très bien devenir un décodeur pour diffuser des films ou de la musique (au format Windows Media, bien entendu), ou d’acheter certains titres à distance. « Nous étudions différentes pistes (...) de services pour Xbox Live, qui seront complémentaires au jeu », consent à nous dire Dufour.

Sous le jeu, la base de données

Grâce à l’appât du jeu en ligne et au service Live, une Xbox devient un véritable "mouchard" qui permet à Microsoft de collecter des renseignements sur les joueurs et leur système, afin d’exercer un certain contrôle.

Microsoft est ainsi capable via Xbox Live de repérer les machines « clandestines », c’est-à-dire équipées de "mod-chips", ces composants externes bricolés pour transformer la console en PC multimédia superpuissant. La mod-chip est chargée de déverrouiller les systèmes de sécurité que Microsoft a mis en place, en premier lieu pour empêcher la lecture de jeux pirates. Les consoles intégrant ce type de composant ne pourront donc pas accéder au service - du moins, pas avec les mod-chips actuelles...

Reste que tout autre usage peut être détecté, scanné, enregistré... « Nous sommes capables de savoir à quoi jouent les utilisateurs, combien de temps et ce qu’ils téléchargent », explique le Monsieur Xbox de Microsoft France.

Une manière habile de s’offrir une base de données au potentiel marketing colossal. À la mi-avril, un mois après son lancement, Xbox Live avait attiré 350000 inscrits, dont 50000 en Europe. Sachant que lors de la création de son compte Xbox Live, l’utilisateur doit fournir son numéro de carte bancaire et son adresse e-mail.

La charte de « protection de la vie privée [du service] Xbox Live » a déjà tout prévu : « Certaines informations concernant votre utilisation (...) sont automatiquement collectées par Microsoft [comme] les moments où vous vous connectez (...), où vous vous déconnectez (...), les jeux auxquels vous avez joué (...), les produits que vous avez achetés (...) ainsi que vos scores ». Informations récoltées afin « de fournir des statistiques générales relatives à l’utilisation de Xbox Live, comme par exemple pour déterminer les jeux et les espaces les plus appréciés. » Double jeu, si l’on ose dire, car quelques lignes plus loin il est clairement indiqué que « ces données peuvent également être utilisées aux fins de fournir des contenus et des publicités personnalisés aux clients dont le comportement indique qu’ils s’intéressent à un domaine particulier ». La charte précise enfin : « L’ensemble des informations relatives à l’utilisation des titres de jeux peut être communiqué aux éditeurs de jeux, aux revendeurs et aux fournisseurs de services à haut débit. »

Le modèle économique est limpide : vendre le "hardware" (la console) à perte, et ensuite utiliser le "software" (les jeux) et l’internet pour encaisser les revenus d’un distributeur de services. Surtout, Microsoft s’adjuge une base de données qui concerne des créations dont il n’est pas du tout le propriétaire. La plupart des éditeurs mondiaux ont accepté les conditions imposées par Microsoft pour qu’une création soit référencée. Conditions gardées encore secrètes, mais assez parlantes pour que le numéro un mondial Electronic Arts refuse de les signer.


Bilan d’étape deux mois après le lancement en France du service de jeu en réseau, dédié aux consoles Microsoft.

Verdit sur les "hauts" et les "bas" du Xbox Live.
Xbox Live est un service de jeu en réseau inédit pour le monde des consoles - en attendant que Sony lance un service comparable pour les possesseurs de Playstation 2. Inédit, alors qu’à l’inverse cela fait de nombreuses années que des réalisations vedettes pour ordinateurs, comme "Unreal Tournament" (Epic), "Counter Strike" (Valv Software), "Star Craft" (Blizzard) ou "Sims Online" (Electronic Arts) possèdent, sans bourse délier, leur option multijoueur en réseau. Il existe même des best-sellers comme "Ever Quest" (Sony) qui sont des jeux en ligne à part entière, auxquels il faut s’abonner pour 10 à 40 dollars par mois.

Un bêta-test en trompe-l’oeil

Quand le service Xbox Live a été placé sur orbite dans l’Hexagone le 14 mars dernier, il y avait déjà aux États-Unis environ 350000 abonnés. Avant de tâter le terrain de la clientèle française, Microsoft a organisé un "bêta-test" qui n’a eu de test que le nom, puisqu’il reposait sur un "panel" de 50 journalistes, triés sur le volet comme il se doit.

Ces heureux élus ont eu une trentaine de jours pour tâter la bête. Et première (mauvaise) surprise : il n’y aura pas d’embouteillages ; le bêta-test en question est resté derrière sa ligne Maginot. Impossible de se connecter à la plate-forme utilisée aux États-Unis pour se frotter à d’autres joueurs. Résultat : une belle illusion de fluidité sur le réseau, au point qu’un simple modem 56k suffisait pour être à l’aise en jouant à des titres comme "Moto GP" ou "Ghost Recon".

Bref, dans ce cas, le bêta-test consistait plutôt en un essai marketing complaisant qu’à un test de robustesse et de fiabilité du service.

Le kit et la configuration réseau

Description du kit Xbox Live : un CD d’installation contenant le code d’activation du compte, la mise à jour de l’interface et un abonnement gratuit de 12 mois au service ; plus un micro-casque Xbox Communicator, pour communiquer entre joueurs lors d’une partie, échanger des informations ou transformer sa voix. Prix du kit : 60 euros. Rappelons qu’une console Xbox, selon les promotions du moment, se négocie neuve à 199 euros (mai 2003) et d’occasion autour de 150 euros. Abonnement : avec le kit, 12 mois d’accès sont offerts. Après, il faudra payer environ 7 euros par mois (6 dollars aux USA). À l’issue de ces 12 mois, l’utilisateur recevra un avis de résiliation. S’il ne répond pas à cette demande, alors son abonnement sera reconduit automatiquement pour une nouvelle année.

– Connexion internet : accès haut débit indispensable pour un confort moyen (type ADSL ou câble). Mais attention, les abonnés AOL peuvent aller voir ailleurs, car ce fournisseur d’accès est incompatible encore aujourd’hui avec Xbox Live.

– Branchement de la console au réseau : le moyen le plus simple est un branchement direct de la Xbox à un modem (ADSL/câble) par un câble RJ-45 croisé. Sinon, il faut partager de la connexion via un PC équipé d’une carte réseau Ethernet ou d’un routeur.

– Inscription : elle s’effectue en ligne dans un environnement sécurisé. Sont demandées des informations personnelles (nom, prénom, adresse e-mail et références de la carte bancaire), dans l’objectif de renouveler son compte après l’année d’utilisation du service.

LES "HAUTS"

1/ Variété des titres
Le nombre de jeux fonctionnant avec le Xbox live ne cesse de s’accroître : de 7 jeux disponibles au lancement du 14 mars, l’objectif est d’atteindre 50 titres pour la fin de l’année 2003.

2/ Facilité d’utilisation
Une fois le kit installé et l’inscription terminée, la première partie peut commencer très vite grâce notamment au "quick match", pour rejoindre une partie sans préliminaires.

3/ Services annexes
L’ensemble de l’offre donne droit, dès le début, à un service de recherche et de classement de joueurs permettant ainsi de créer ses propres communautés ; formation d’une liste d’amis pour discuter (oralement seulement pour l’instant) et se donner rendez-vous ; téléchargement de modules supplémentaires ("add-on") comme le nouveau niveau du jeu "Splinter Cell" (Ubi Soft). Services annoncés pour les prochaines semaines : alertes via SMS ou e-mail pour démarrer des parties.

4/ Communication audio
Le casque-micro Xbox Communicator est une pièce maîtresse pour l’interactivité entre joueurs. Il n’a pas été constaté de perte de qualité dans la transmission.

5/ Prix du kit Xbox Live
À 200 euros actuellement en Europe, la console est vendue très en dessous de son prix de revient. Pour son kit réseau, Microsoft a fixé le prix selon les mêmes critères psychologiques, en le plaçant au même niveau qu’un jeu neuf, soit 60 euros.

LES "BAS"

1/ Installation fastidieuse
Sur un modem USB non équipé d’une prise supplémentaire de type RJ45, l’accès internet devra se faire via un PC en fonctionnement ; mais pour que Xbox et PC soient connecté en même temps, il faut absolument un routeur sur lequel se brancheront les deux machines.

2/ Incompatibilité avec AOL
Les abonnés ADSL d’AOL sont exclus de l’aventure. Ce n’est pas vraiment un problème technique, si l’on en croit les propres explications de Microsoft : « Malgré notre collaboration avec AOL, une solution satisfaisante pour les deux parties concernées n’a pu, à l’heure actuelle, être trouvée. Nous poursuivons activement nos efforts (...) en vue de trouver une solution. »

3/ Nombre de serveurs insuffisants
Quatre serveurs seulement gèrent les connexions mondiales de la plate-forme. Deux pour les USA, un au Japon et le dernier pour l’Europe au Royaume-Uni. Cet unique serveur pose, de temps en temps, des problèmes de ralentissement pour le joueur, (constaté notamment sur le jeu "Ghost Recon").

4/ Ne fonctionne pas avec une console modifiée
Les consoles équipées de "mod-chips" (des puces non autorisées par Microsoft), utilisées pour lire autre chose que des disques optiques contenant des jeux commercialisés, sont immédiatement repérées sur le réseau, et l’inscription est impossible.

5/ Support technique insuffisant
L’équipe Xbox en France (environ huit personnes aux dernier pointage) a la lourde tâche de s’occuper aussi du service Live. Il est regrettable qu’il n’y ait pas d’équipe dédiée pouvant maintenir pleinement les performances du réseau, et, ainsi, tenir une relation privilégiée avec les utilisateurs. Par exemple, les conditions de service « interdisent » d’employer un langage insultant ou haineux, dans ses rapports avec ses camarades de jeu, mais personne ne modère les discussions a priori.

6/ Les grands absents du catalogue
Le numéro un mondial de la création de jeux, Electronic Arts, a refusé de signer les conditions de licence imposées par Microsoft pour être référencé sur son service en ligne. EA a préféré Sony qui prépare sa plate-forme en ligne pour cet été. Un autre acteur mondial, Eidos (éditeur de "Tomb Raider"), a lui aussi refusé de s’aligner sur Xbox Live.


Le catalogue de jeux du service en ligne de Microsoft devra se passer du premier éditeur mondial Electronic Arts. Le géant de Redmond a été trop gourmand. EA a préféré signer un accord exclusif avec Sony.

Après des mois de négociations infructueuses, le leader mondial des jeux vidéo Electronic Arts (EA) a définitivement dit non au service Xbox Live. L’éditeur américain ne développera pas de produits pour la plate-forme en ligne de Microsoft, alors même qu’il réalise des titres pour la console Xbox.

En quoi les conditions imposées par Microsoft au sujet de son service Xbox Live sont-elles inacceptables pour Electronic Arts ? Si la firme de Bill Gates ne préfère pas s’exprimer publiquement, le président du conseil d’EA, Larry Probst, a lui été très clair : « Ils collectent tout l’argent ; ils gardent tout l’argent », a-t-il déclaré selon le Wall Street Journal du 12 mai, après l’échec des dernières négociations.

Microsoft a en effet décidé de gérer l’ensemble des aspects financiers de son service et de faire payer l’abonnement (6 dollars par mois) nécessaire pour y accéder. Des revenus que, selon le quotidien américain, Microsoft ne voudrait donc pas partager.

Selon le président d’EA, Microsoft ne veut pas partager

« Microsoft a tenté encore et encore, ces dix-huit derniers mois, de persuader Electronic Arts d’ajouter ses jeux [au catalogue de Xbox Live] », écrit le WSJ. « Mais les dirigeants d’Electronic Arts ont décidé que Microsoft exigeait un trop grand contrôle sur [leurs créations] tout en ne voulant pas payer pour avoir le droit de les utiliser. »

La concurrence n’a pas non plus la langue dans sa poche, à commencer par Sony Entertainment, qui a récemment signé avec EA un accord exclusif concernant son service en ligne, dédié à la Playstation 2. Déjà disponible depuis 2002 au Japon et aux États-Unis, il sera lancé en Europe le 23 juin prochain. Comment le géant nippon a réussi là où Microsoft a échoué ?

« Notre plate-forme est totalement ouverte pour les éditeurs, qui peuvent directement facturer le client final, à la différence de celui de Microsoft », répond Richard Brunois, directeur de la communication de Sony Entertainement France. « Chez Sony, chaque éditeur peut lui même proposer un abonnement aux clients du service en ligne de la PS2, nous leur laissons cette opportunité commerciale », renchérit-il.

Eidos n’a également pas de projets en vue pour le Xbox Live

Enfin, autre différence entre les deux services qui semble avoir joué en faveur de Sony : les serveurs du Xbox Live sont gérés par Microsoft, alors que Sony laisse les éditeurs gérer leurs propres machines (ce qui est aussi une source d’économie pour le groupe japonais). Sur ces serveurs sont stockées toutes les données concernant les utilisateurs, leurs goûts et leurs usages, autant d’opportunités d’enrichir des bases de données qualifiées, susceptibles d’être exploitées commercialement.

Conclusion : à vouloir trop contrôler son service afin de s’approprier totalement le consommateur, Microsoft aurait paru trop exigeant.

Un point de vue que partage également l’éditeur britannique Eidos Interactive. « Nous n’avons pas de projets prévus dans l’immédiat concernant Xbox Live », explique-t-on chez Eidos France. « Nous allons observer les avancées de leur service », tempère un responsable, qui assure cependant que « les portes ne sont pas fermées ».

Christophe Guillemin et Laurent Gaubert


Voir en ligne : Article de ZDNet - 14/05/2003

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